Philippe Jaccottet, « l’habitant de Grignan » comme il se plaisait à le dire, est décédé ce 24 février :
« C'est comme si l'immense
porte peinte du jour avait tourné
sur ses gonds invisibles, et je sors dans la nuit,
je sors enfin, je passe, et le temps passe
aussi la porte sur mes pas. »

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On ne peut s’empêcher de penser que le poète a enfin percé, en cette belle fin d’hiver, le secret de « l’heureux brouillard » des amandiers en fleurs : dès A travers un verger il écrivait en effet: « Chaque fois que je suis passé, en cette fin d’hiver, devant le verger d’amandiers de la colline, je me suis dit qu’il fallait en retenir la leçon ». Il s’en est donc allé à travers des vergers derrière lesquels il entrevoyait « l’intuition d’un sens » et la promesse d’une mort allégée : « il doit s’agir du désir profond de passer sans peine un seuil, d’être emporté dans la mort comme par une magicienne on est ravi dans l’inconnu, on aborde à une Terre promise ».
Toute la poésie de Jaccottet est sous le signe des rencontres et des passages, du franchissement de l’obstacle et du seuil. En témoignent un verger d’amandiers, un nuage, un feu de feuilles sèches, un oiseau, et le Ventoux lui-même, comme autant de signes vécus d’une « leçon » de poésie. Ses poèmes « font passer » le réel et le quotidien à un autre ordre d’existence, ils les transforment en un équivalent spirituel.
Il aura fait ce pas,
« Un pas à la suite de quoi rien de l’en-deçà du seuil, ou du col, ne serait perdu, au contraire ; ou tout : toute l’épaisseur du temps, d’une vie, de la vie, avec leur pesanteur, leur obscurité, leurs déchirures, leurs déchirements, tout serait sauvé, autrement présent, présent d’une manière que l’on ne peut qu’espérer, que rêver ou, à peine, entrevoir. »
Et il nous invite, dans chacun de ses poèmes, à poursuivre la quête, car « tout livre digne de ce nom s’ouvre comme une porte, ou comme une fenêtre ». Le poète est tout à la fois celui qui passe, qui « laisse passer », celui qui fait passer. « Passer le col en contrebande, vêtu en colporteur d’images : ce serait trop beau… »
Mais c’est précisément ce que fut et que sera pour toujours désormais, Philippe Jaccottet.

Danièle Rinck - Chauvin, professeur émérite, Sorbonne Université.

Des membres de l'association avaient lu quelques poèmes de Jaccottet à l'occasion de l'assemblée générale 2018.
Il est possible de réécouter ces textes.

Sur une proposition d'Yves Guerin, co-président de l'UNTL