A Point de la situation actuelle

Le mécanisme de conditionnalité de versement des fonds européens au respect de l’Etat de droit, dont Varsovie et Budapest refusait le principe, n'est pas modifié par la proposition allemande.
Mais les deux frondeurs estiment avoir obtenu des garanties suffisantes sur sa mise en œuvre.

Ce mécanisme prévoyait que la Commission propose aux Etats membres de bloquer le versement de fonds à un pays dont les défaillances en matière d’Etat de droit menaceraient la bonne utilisation de l’argent européen, par exemple lorsque l’indépendance de sa justice n’est pas assurée. A la suite de quoi, le Conseil européen devrait se prononcer, dans les trois mois, par un vote à la majorité qualifiée (au moins quinze des vingt-sept Etats membres représentant au moins 65 % de la population européenne).

La proposition allemande, de « déclaration interprétative » qui a permis de contourner la difficulté prévoit que si un pays devait contester la légalité de ce mécanisme devant la Cour de justice de l’UE, la Commission attendrait l’issue de cette procédure avant d’activer ce dispositif.
Compte tenu des délais prévisibles, cela signifie que la Commission ne pourra pas sanctionner budgétairement un Etat qui violerait l’Etat de droit avant 2022, l’année où sont prévues les prochaines élections législatives hongroises.
Mais, pour arriver à ce compromis, les Européens ont aussi menacé Budapest et Varsovie non seulement de faire un plan de relance sans eux, et donc de les priver de plusieurs milliards d’euros, mais aussi de réduire drastiquement, dans le budget, les fonds de cohésion dont ils bénéficient largement.

B Analyse de Lucien De Munter sur ce plan de relance européen, intégration financière et distanciation démocratique
B1 Rappel sur le régime financier de l’Union européenne. Dans une organisation internationale classique, le financement est assuré par les contributions des états-membres.
Dans les traités de Rome et de Lisbonne, l’organisation supranationale doit disposer de son propre financement. On parle alors de « ressources propres ».
C’est la position de principe mais la réalité est un peu différente.
1) L’Europe dispose certes de ressources propres sous forme du produit des droits de douane (aux frontières extérieures), mais cela est à peu près la seule et elle diminue avec la baisse progressive des tarifs. Elle ne représente plus actuellement que15 % du budget.
2) On a ensuite recouru au 1 % des recettes de TVA levés dans tous les Etats-membres (EM) : ce sont les états qui l’encaissent et versent leur quote-part à l’Union. Cette contribution représente un peu plus de 10 % du budget.
3) Les trois quarts du budget consistent en la ressource Produit National Brut, qui est en fait une contribution des EM.
La cerise sur le gâteau, c’est la limite absolue sur le budget européen égale à un poil au-dessus du 1 % du PNB total au niveau de l’Union.
Cette réticence des EM concernant les ressources propres et la bride mise sur le budget s’expliquent par la crainte des EM que la Commission devienne trop puissante si elle était maître du financement de l’Union et que ce financement était en plus plantureux.

B2 Un autre grand principe concernant les finances de l’Union est l’abandon du principe du « juste retour ». Si dans le principe il ne devait pas y avoir un lien entre les contributions de chaque EM et les moyens financiers mis à sa disposition via l’action communautaire, la réalité est bien différente, depuis Mme Thatcher, les grands contributeurs exigeant en retour des réductions et des compensations.
Au niveau budgétaire et selon les traités, il n’y a aucune confusion entre le niveau national et le niveau européen ; chaque EM est responsable de sa situation financière, et cela est particulièrement important pour les EM-euro.
Avec la crise de la dette souveraine, l’Union a néanmoins apporté un financement à l’Irlande, au Portugal, à l’Espagne et surtout à la Grèce, par le biais de prêts financés par un emprunt au niveau européen, garanti par chacun des EM-euro. Les EM aidés sont censés le rembourser eux-mêmes, afin de permettre le remboursement de l’emprunt européen sans devoir faire appel à la garantie des EM-euro.

B3 Innovation du plan de relance :
Avec le plan de relance projeté on innove de deux manières.
D’abord, c’est Union qui fait l’emprunt et ce dernier doit être remboursé par tous les EM via le budget de l’Union, c’est-à-dire par leur contribution au budget européen.
Seconde et très significative innovation, qui est une première, ce sont les EM qui souffrent le plus de la pandémie covid, qui doivent recevoir un financement provenant d’un emprunt au niveau de l’Union, dont une partie sera un don. Ces EM versent leur contribution au budget européen prenant en charge l’emprunt qui a financé ce don mais comme ces EM ne contribuent pas beaucoup, ce sont les plus grands contributeurs au budget qui prendront en charge la majeure partie de ce don.
Comme à l’habitude, il faut trouver un nom pour un nouveau plan, de préférence en anglais : NextGenerationEU. Le plan comporte deux volets : un volet composé de différents Fonds et Programmes à concurrence de 77,5 Mds EUR, et un volet facilité de rétablissement et résilience à concurrence de 672,5 Mds EUR composé à son tour de prêts pour 360 Mds EUR et de dons pour 312,5 Mds EUR. Parmi les bénéficiaires de dons on peut citer trois pays : la France 37,4 Mds, la Pologne 23 Mds, la Hongrie 6,3 Mds. L’accord sur le budget pluriannuel 2021-2027 prévoit aussi de nouvelles ressources propres pour alimenter davantage ce budget,
-une taxe compensatoire carbone aux frontières extérieures,
-le produit du Emissions Trading System (licences d’émissions de GES),
-une taxe numérique,
-une taxe sur les transactions financières,
-une contribution imposée directement sur les très grandes entreprises,
-une nouvelle base commune pour l’impôt des sociétés.
A côté du plan de relance, un mécanisme financier est déjà en vigueur, à savoir le SURE (Support to Mitigate Unemployment Risk in an Emergency, ou soutien en compensation du risque de chômage dans une situation de détresse). Ce programme rembourse une partie du coût du chômage partiel engagé par les EM en raison de la pandémie covid. Ce programme s’élève à 100 Mds EUR pour la totalité de l’Union qui a émis une obligation sociale sur les marchés et re-prête le produit de l’emprunt aux EM bénéficiaires.

C Retour sur la raison du veto de de la Pologne et de la Hongrie :

Le plan de relance a fait polémique par la menace de veto prononcée par la Pologne et la Hongrie, qui n’ont pas accepté la conditionnalité concernant le respect des valeurs démocratiques pour pouvoir bénéficier des financements. Le projet initial du règlement fixant le budget pluriannuel et le plan de relance contenait une conditionnalité en termes plutôt généraux renvoyant à l’art 7 du traité de Lisbonne. Le Parlement européen a jugé que ceci nécessitait plus de détail, plus de concret et d’explicitation, et une procédure accélérée. Après des négociations tendues entre le Conseil et le Parlement, un accord a été trouvé le 5 novembre 2020 qui intégrait toutes les exigences du Parlement, jusque et y compris un accès direct à la Commission pour des bénéficiaires finaux (universités, étudiants, agriculteurs, ONG) qui, en raison des sanctions, n’auraient pas pu obtenir de leur gouvernement les aides auxquelles ils pourraient prétendre. Lors du Conseil européen du 10 et 11 décembre 2020 l’accord du 5 novembre semble avoir été accepté sans modification, mais accompagné d’une déclaration politique proposée par la présidence allemande disant que le lien direct entre le déboursement de sommes d’argent et le fonctionnement de l’état de droit ne s’applique qu’au budget européen, et que la procédure est objective et traite tous les EM sur un pied d’égalité.
Pourtant, la déclaration dit aussi que dans l’éventualité de l’intention d’un recours en nullité contre le projet de règlement auprès de la Cour de Justice, ce recours aurait un effet suspensif, alors que la procédure ordinaire de la Cour de Justice ne prévoit pas un tel effet. En d’autres termes, cela constitue une invitation ouverte d’intenter un tel recours pour retarder l’entrée en vigueur d’une règle jusqu’au terme de la procédure.
Certaines voix disent que la Hongrie intentera une telle procédure dans l’espoir que l’arrêt n’interviendra qu’après les élections parlementaires hongroises en 2022, ou, après que le gros des moyens financiers de NextGenerationEU ait été déboursé en 2021 et 2022. Autrement dit, comment détricoter le travail de Parlement européen et contourner les bonnes intentions de la Commission.
Ce Conseil européen a également pris la décision de renforcer les objectifs de réduction des GES, et encore une fois les mêmes EM n’ont accepté cette décision que contre la promesse de plus d’aides financières.

Décidément, les valeurs européennes sont plutôt comprises en termes monétaires par certains...